Joshua ❝ La météo c'est ce à quoi on s'attend, le climat c'est ce que nous obtenons.

Une porte vient de s’ouvrir à l’étage. Un homme s’apprête à partir, bagages à la main. Il est vêtu d’un uniforme, un uniforme de l’armée américaine. On peut y trouver trois médailles accrochées ainsi que plusieurs blasons dont celui de sa propre unité d’élite. « Clay ! Ne pars pas, je t’en supplie ! » Clay, c’est celui qui se tient dans l’entrebâillement de la porte et celle qui le supplie, c’est sa femme, Sarah O’Connor. Il doit être un peu plus de sept heures trente, nous sommes en hiver et le soleil peine à se lever à l’horizon. « Je ne peux pas Sarah, les ordres sont les ordres, tu le sais aussi bien que moi. » et oui, Sarah le sait aussi bien que lui mais ce qu’elle cache bien de lui dire c’est que cette situation lui pèse depuis des mois et des mois. Comme si elle était faite à l’attendre, pendant des mois et des mois pendant qu’il se bat, qu’il risque sa vie tous les jours à l’étranger. Comme si elle était faite pour vivre dans la crainte, la peur et les cauchemars. Comme si elle ne s’était pas refait des milliers fois dans la tête ce scénario où un homme en costume viendrait sonner à sa porte et lui annoncerait l’effroyable nouvelle. Où est l’héroïsme là-dedans ? Est-ce lui, celui qui risque sa vie jour après jour ? Ou est-ce elle, qui patiente, nuit après nuit ? On voudrait tous pouvoir dire que tout va bien. Mais dans chaque famille il y a une épine dans le foin. Et c’est quand on tombe dessus que ça fait mal. « Evidemment que je le sais ! Je ne suis pas née d’hier je te rappelle. Mais je te rappelle aussi que tu as un fils aujourd’hui. Et ça, tu le sais, toi ? » Elle crie de rage, mais il faut la comprendre, elle a déjà dû vivre sa grossesse seule, étant donné qu’il était en Irak, et il n’était même pas là quand il est né. Alors oui, elle aimerait qu’il reste, parce que leur fils n’a que cinq mois et que sur ces cinq mois, son père n’en a été présent que trois. « Bien sûr que je le sais ! Tu crois que ça ne me tue pas de partir et de le laisser ici ? De vous laisser ici ? » Parce que oui, il est sûr que pour lui aussi c’est dur à vivre. Loin d’eux, de sa famille, de ce qu’il a fondé et de ce qui fait partie de lui. Et chaque fois qu’il part en mission, il n’aspire qu’à ça : rentrer et retrouver sa famille. Encore plus aujourd’hui. « Alors qu’est-ce que tu attends ? Donne ta démission ! Je t’en supplie Clay … » Elle ne sait pas d’où cette sensation lui est venue, mais quand le téléphone a sonné pendant la nuit, Sarah a eu la sensation que s’il partait pour cette mission, elle ne le verrait plus jamais. Un sentiment étrange t que vous fait froid dans le dos, y a pas à dire. Mais Sarah est sans arme et ne peut rien faire contre la conviction de son mari. Ce dernier baisse les yeux et s’avance vers elle pour lui déposer un baiser sur le front, baiser dont on donne souvent pour signification la protection. Elle se sent incapable, voudrait tout tenter pour qu’il ne s’en aille pas, mais il a déjà passé le pas de la porte de leur chambre. Bientôt, la porte d’en bas claquera, annonçant son départ certain. Elle se lèverait alors pour aller jusqu’à la fenêtre et lui ferait un signe de la main, ensuite elle prierait pour lui, pour que rien ne lui arrive durant sa mission. Tout ce qu’elle veut, c’est qu’il en revienne vivant désormais. Mais voilà le moment venu, la porte claque, plus fort qu’elle ne l’aurait cru. Au même moment, des pleurs de bébé se font entendre depuis la pièce d’à côté. Sarah ferme les yeux et sent les larmes monter. Elle voudrait se sentir forte. Assez forte que pour aller chercher son enfant et l’amener avec elle jusqu’à la fenêtre, faire signe à son mari, le père de l’enfant, et espérer à nouveau que tout se passe bien. Mais elle n’en a pas la force. Au lieu de ça, elle laisse les larmes s’échapper et s’assied sur son lit, sans plus aucune force. De son côté, Clay O’connor monte dans le taxi. Il ouvre sa fenêtre, regardant une dernière fois en direction d’une fenêtre à l’étage. « Excusez-moi monsieur, est-ce que je peux y aller ? » Il referme alors sa fenêtre et se retourne vers le chauffeur, un faux sourire aux lèvres. « Oui, allez-y. » Parce qu’il n’y a rien de pire au monde que de se sentir seul, mais que l’on passe tous par-là à un moment ou l’autre de notre vie. C’est quand on est seul qu’on se rend compte qu’on a besoin des autres, qu’ils nous manquent et qu’on ne sera jamais rien sans eux. Mais la vie nous oblige parfois à faire des choix. Quand on a donné sa parole, son honneur, il est parfois dur de revenir en arrière, même si c’est ce que tout le monde espère. On voudrait pouvoir vivre indéfiniment auprès de nos proches, de ceux qu’on aime. Mais la vie ce n’est pas ça. La vie est faite pour nous donner des leçons de sacrées bonnes leçons parfois. Sommes-nous réellement impuissants face à la vie ? Je pense que oui. Parce qu’elle contrôle six milliards d’âmes sur terre et que nous ne sommes parfois pas capables de nous occuper ne serais-ce que de nous-même. Alors nous ne faisons vraiment pas le poids face à elle, même si on s’y mettait tous ensemble contre elle. Mais je ne crois pas que la vie est faite pour être facile, justement. La vie est faite pour nous apprendre des choses, à nous rendre plus fort, nous relever. Car c’est en tombant qu’on arrive à se relever et qu’on devient plus fort. Du moins c’est ce qu’on dit …

87 jours plus tard

« Plus que trois jours et papa sera là ! Tu entends ça Joshua ? » Dit Sarah à son fils qui barbouillait dans sa petite baignoire. Elle était rayonnante et souriante. Depuis quelques jours désormais, depuis l’annonce de son retour, la jeune femme avait recommencé à faire attention à elle. Elle se maquillait, se peignait, n’attachait plus ses cheveux dans un trifouilli horrible, elle s’était acheté de nouvelles robes en de début d’été. Tout allait bien et rien ne pourrait enlever ce sourire qui était constamment collé à ses lèvres. « Promets-moi de ne jamais faire le même boulot que papa mon chéri … » venait-elle de penser, mais elle l’avait quand-même dit à voix haute, sait-on jamais que son fils, même si jeune, ne le retienne. Peu de temps après la sonnette de la porte d’entrée retentit. Elle emballa le petit Joshua dans un linge et descendit ouvrir, le portant dans ses bras. Elle ouvrit alors la porte et aperçut dans l’entrebâillement un homme en uniforme, tête baissée, les traits durs et désolés. « Madame O’Connor ? .. » la jeune femme, prise de panique, lui claqua la porte au nez. Elle ne voulait pas entendre un mot de plus, pas un seul. Elle n’avait pas besoin d’entendre ce qu’elle avait tant de fois imaginé, ce à quoi elle s’attendait avoir affaire depuis longtemps. Mais pas maintenant, ce n’était pas possible. Elle restait figée sur place, aurait voulu qu’on la pince pour qu’elle se réveille de cet affreux cauchemars, seulement ce n’en était pas un. La réalité avait frappé trois coups à sa porte, les trois coups du malheur. Non, rien ne pouvait être vrai. Clay reviendrait d’ici trois jours, c’est ce qu’il lui avait dit, une semaine plus tôt. Non, il ne pouvait pas lui être arrivé quelque chose, c’était impossible. Le sourire qui avait jusqu’alors orné ses lèvres depuis quelques jours venait de s’éteindre. Dos au mur, elle se laissa tomber aux pieds de la porte, littéralement impuissante. Elle enfuit son visage dans le linge de son fils qu’elle serait fort contre elle. A cet instant précis, de nombreux souvenirs refont surface et les remords lui prennent. Pourquoi est-ce qu’il était parti ce matin-là ? Pourquoi ne l’avait-il pas écoutée ? Pourquoi n’en faisait-il toujours qu’à sa tête ? Pourquoi avait-il sans cesse ce besoin de se sentir au-dessus des autres, le meilleurs, en tout et pour toujours ? Pourquoi était-il aussi têtu ? Pourquoi ne s’était-il pas rendu compte que lui aussi, il était un homme, qu’il n’était au-dessus de personne et que comme tous ces autres, il était vulnérable ? Pourquoi avait-il eu besoin de jouer les héros dans un pays où il n’y a déjà plus rien à faire pour personne ? Pourquoi donc lui avait-il fait ça à elle ? Et à son fils ? Au final, à quoi est-ce que ça lui avait servi tout ça ? A rien, absolument rien ! Et là, encore plus que jamais, Sarah espère que jamais son fils ne voudra « faire comme papa ». Son père n’était pas un modèle, et jamais elle ne le ferait voir comme ça. Même si au final, ce que les gens retiendront de Clayton O’Connor c’est que c’était un homme bon et brave, le plus brave et le plus tenu qu’on n’ait jamais connu. Un homme d’honneur et de foi, un homme respectueux et respectable. Un bon soldat, toujours partant pour défendre sa patrie et son honneur. On dira qu'il est mort avec honneur, pour sa partie et son pays, qu’il est mort pour d’autres. Mais jamais personne ne dira que pour atteindre ses rêves, pour goûter à cette adrénaline quotidienne dont il avait besoin, personne ne dira ô combien il aura fait des sacrifices, comme d’aller contre la parole de son père, en arriver à ne plus lui parler, abandonner sa femme mois après mois, le rendre heureuse le temps d’un éphémère instant et ne même pas pouvoir être présent à la naissance de son fils. Qui dira que Clay ne faisait que ce qu’il voulait lui et ne réfléchissait jamais au bonheur des autres ? Qui dira qu’il aura fait pleurer plus d’une personne, et plus d’une fois dans sa vie ? Qui dira que pendant ses missions à l’étranger il trompait sa femme en couchant avec des femmes du village ? Personne. Car ces vérités-là sont des vérités cachées, et qu’elles ne doivent jamais être révélées.

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